dimanche 21 novembre 2010

Les Samnagenses

Dans son ouvrage Histoire Naturelle, Pline l'ancien décrit les peuples de Gaule Narbonnaise (III, 37) :
« Dans l'intérieur des terres, colonies: Arles de la sixième légion, Béziers de la septième, Orange de la seconde; dans le territoire des Cavares, Valence, des Allobroges Vienne; villes latines: Aix des Salluviens, Avignon des Cavares, Apta Julia des Vulgientes, Alébécé des Reies Apollinaires, Alba des Helves, Augusta des Tricastins, Anatilia, Aeria, Bormanni, Comacina, Cabellio, Carcasum des Volces Tectosages, Cessero, Carpentoracte des Mémines, Ies Caenicendes , les Cambolectres, surnommés Atlantiques, Forum Voconii, Glanum Livii ; les Lutevans, appelés aussi Foroneronienses; Nimes des Arécomiques, Piscènes, les Rutènes , les Samnagenses ; Toulouse des Tectosages, sur la frontière de l'Aquitaine; les Tascons, les Tarusconienses, les Umbraniques; les deux capitales de la cité des Vocontiens alliés, Vasio et Lucus Augusti; dix-neuf villes sans renom, de même que vingt-quatre attribuées à Nîmes. L'empereur Galba a ajouté au rôle de la province les Avantiques et les Bodiontiques, peuples alpins, dont la ville est Digne. Agrippa évalue ta longueur de la Narbonnaise à 270.000 pas, et la largeur à 248.000. »

Pline (23-79) a publié son ouvage en 77. Nous savons donc que les Samnagenses jouissent du statut de ville latine, c'est à dire qu'ils étaient politiquement autonome et produisaient leurs propres citoyens romains au premier siecle après Jesus-Christ.

Nous connaissons également les Samnagenses par leur monayage. De nombreux exemplaires se trouvent en Narbonnaise et principalement dans le Gard Rhondanien. Ces pieces sont datés du premier siècle avant JC.

Deux inscriptions mentionnent la tribu des Samnagenses. L'une découverte à Nimes vers 1600 (perdue depuis) la deuxieme a été trouvé à Montarnaud dans l'Hérault. Il s'agit d'une épitaphe daté de la fin de IIème après JC.

samedi 20 novembre 2010

La mystérieuse Samnaga

Les Samnagenses ou « gens de Samnaga » formaient une des tribus celtiques venues d’Europe centrale qui, dans la seconde moitié du Ve s. avant notre ère, dévalèrent le cours du Rhône à la recherche de nouvelles terres. Leur nom figure dans la liste des oppida latina (chefs- lieux de cité de droit latin) donnée par Pline l’Ancien dans son Histoire Naturelle (III, 37).
Jusqu’à ce jour, aucun historien de l’Antiquité n’avait pu localiser avec certitude la mystérieuse Samnaga.
Divers indices nous incitent à la reconnaître dans la cité de l’oppidum de Gaujac :
1 – la découverte sur le site et au Camp de César voisin de monnaies frappées par ce peuple ;
2 – la coïncidence sensible de l’aire de diffusion de ce numéraire avec celle des amphores caractéristiques fabriquées dans des ateliers de l’environnement de Gaujac (type G1 des spécialistes) ;
3 – L’épitaphe d’un Magister des Centonars (Président de la corporation des drapiers), habitant et décédé à l’oppidum qui précise qu’il exerçait son activité à « S », initiale de Samnaga ;
4 – les liens économiques et amicaux privilégiés qui unissaient les lointains Bituriges (Gaulois de la région de Bourges) avec les Samnagenses : des monnaies de Samnaga ont été trouvées chez les Bituriges or des monnaies des Bituriges ont été découvertes à l’oppidum de Gaujac ;
5 _ Une inscription antique de Nîmes (CIL XII 3058) fait état de libéralités offertes par un notable biturige. Parmi celles-ci une effigie en argent du dieu Mars donnée aux Samnagenses, ce qui laisse entendre que la cité de ces derniers était voisine de Nîmes et qu’elle avait de l’importance sur la plan religieux : « caractères qui conviennent sans peine à la région considérée » (Anne Roth Conges, Directrice de recherches au CNRS, Entre Nemausus et Alba : un oppidum latinum ? cf bibliographie).
6 – dans sa thèse « Les peuples préromains du sud-est de la Gaule » (RAN, supplément I, Paris, 1969), Guy Barruol écrit (p.203, note 1) « Pour ma part, c’est dans la région de Remoulins ou de Bagnols-sur-Cèze que je rechercherais la ville des Samnagenses. » Or Gaujac est à 20km au nord de Remoulins et à 13km au sud de Bagnols-sur-Cèze.
Sa conclusion sera la nôtre.

mercredi 17 novembre 2010

La localisation des Samnagenses



SITUATION GÉOGRAPHIQUE DU PEUPLE DES SAMNAGENSES

Le peuple gaulois des Samnagenses était établi dans le bassin de la Cèze et de la Tave, affluents de la rive droite du Rhône, à 40 km au nord de Nîmes, face à Avignon et Orange, à partir de la fin du Ve s. av. JC. Au sud se trouvaient les Volsques Arécomiques, au nord les Helviens.
Leur capitale était double : l’oppidum de Gaujac concentrait les pouvoirs politique et religieux, comme le montrent l’épigraphie et la monumentalité ; l’oppidum du Camp-de-César, commune de Laudun, à 8 km à l’est, avait l’économie et la population comme l’indiquent la présence d’une basilique, la proximité du Rhône et son port antique de Cadenet directement relié à l’oppidum.
La superficie de l’oppidum de Gaujac était de 12 ha intra muros, celle du Camp-de-César de 18 ha intra muros. Mais la zone habitée s’étendait très largement en dehors des remparts.

La bibliographie suivante traite du problème des Samnagenses et de la situation géographique du territoire occupé par cette tribu :
Guy BARRUOL, Les peuples préromains du Midi de la Gaule, 1er suppl. à la Revue Archéologique de Narbonnaise, Paris, 1969 (2ème éd., 1975).
Michel CHRISTOL et Jean CHARMASSON, Une inscription découverte à Gaujac (Gard), Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1987, p. 116-127.
Anne ROTH CONGES et Jean CHARMASSON, Entre Nemausus et Alba : un oppidum latinum ? Les agglomérations antiques de Gaujac et Laudun et la question des Samnagenses, Revue Archéologique de Narbonnaise 25, 1992, p. 49-67.
Anne ROTH CONGES et Jean CHARMASSON, Les oppida de la vallée de la Tave à l’époque romaine et la question des Samnagenses, Rhodanie 51, 1994, p. 31-36.
Anne ROTH CONGES, Glanum, Gaujac, la romanisation de deux villes moyennes de la basse vallée du Rhône, Rhodanie 58, 1996, p. 3-22.
Jean CHARMASSON, L’oppidum de Gaujac (Gard), métropole des Samnagenses, Rhodanie 94, 2005, p. 2-34.
Jean CHARMASSON, L’oppidum de Gaujac en 6 stations, Rhodanie, hors-série n°11, 2006, p. 4 et p. 12.
Jean CHARMASSON, Monique et Claude CÉROU, L’oppidum de Gaujac a-t-il reçu du Triumvir Lépide son titre de Chef-lieu de Cité Latine ? Rhodanie 114, 2010, p. 2-6.



Pline l'ancien situe les Samnagenses en gaule Narbonnaise. Aucune autre source écrite ancienne précise leur localisation. Les chercheurs ont émis plusieurs hypothèses, essentiellement dans le Gard. La plus probante est une localisation dans le Gard Rhodanien.


Les structures monumentales des oppida de Gaujac et du camp de César à l'époque Gallo-Romaine


Ces deux habitats, distants d'une dizaine de kilomètres, occupent des sommets. Les fouilles archéologiques ont mis en évidence une urbanisation des deux sites avec des remparts, tours de prestige, portes monumentales, voirie au Ier siècle avant et après JC. Le droit de rempart est un indice d'indépendance politique à l'époque Augustéenne.

L'oppidum de Gaujac domine la rivière Tave. Un rempart de 1250 mètres, plusieurs fois remanié, couvre une superficie de 12 hectares. A l'intérieur, 6 terrasses sont aménagées pour faire face à la pente de la colline. Elles supporterons de nombreux monuments publics.
Un ensemble religieux occupe l'une d'elle avec un temple carré dédié à Appolon, une place dallée, des espaces pour le dépôts d'offrandes. Une voie sacrée le traverse et pourrait mener vers d'autres lieux de culte.

En dessous, des thermes public qui ont fonctionné pendant deux cents ans. Élément remarquable quand on sait que l'oppidum ne possède aucune source. L'eau a d'abord été transporté dans des contenants. Par la suite, un système de canalisation collectait l'eau de pluie tombée sur les toits des bâtiment public. Des citernes stockaient l'eau avant d'être distribuée dans les thermes.

A Laudun, le camp de Cesar se trouve sur le plateau de Lacau. Un rempart de 200 mètres de long ferme un espace de 18 hectares. Les falaises constituent l'essentiel du système défensif.. Les fouille de l'époque gallo romaine ont mis au jour un forum et ses boutiques ainsi qu'une basilique. Dans l'antiquité, la basilique désigne le lieu couvert où était traité les affaires économiques et judiciaires de la cité.

Pour s'assurer de la fidélité des populations conquises, l'empire a attribué la Citoyenneté aux élites Gauloises. Elles pouvaient donc exercer le pouvoir local pour le compte de Rome. En échange, le nouvel État (enrichi par la récente conquête du nord de la Gaule) finançait l'urbanisation des capitales régionales.

Les oppida de Gaujac et de Laudun ont bénéficié de ces fonds romains. Les tribus Gauloises n'étaient pas assez prospères pour assumer les coûts des travaux. L'occupation des sites de hauteurs démontre la volonté de l'empire de s'accaparer des instutions locales existantes. Du fait de leurs proximités et de leurs complémentarités, les deux cités administraient une région unique.


Les inscriptions

A Gaujac, une inscription (AE 1992, 1217 - AE 1992, 1218). a été découverte dans l'enceinte du temple :
[Ap]oll[ini]
[---] An[t]onius L(uci) f(ilius) Vo[l(tinia)]
Pater[nu]s aedil[is]
prae[f(ectus) f]abrum
IIIIvir ad aerar(ium)

A Apollon,
Antonius Paternus,
Fils de Lucius de la tribu Voltina,
Edile,
Prefet au travail (de la Narbonnaise),
Gouverneur chargé du trésor (de la cité),

Dédié à Apollon, elle détaille le parcours politique d'un citoyen Romain au milieu du premier siècle après JC. Ce profil de carrière est inédit : il ne se retrouve pas parmi les modéles que nous connaissons, notamment ceux de Nîmes, la capitale des Volques Arécomique, voisin de Gaujac. Ce témoignage épigraphique démontrerait donc que Gaujac avait un statut politique distinct des autres cités.

L'inscription de Tresques (CIL XII 2754)

Il s'agit d'une Epitaphe du Citoyen Craxxius, trouvé à Tresques, localité entre Gaujac et Laudun.


D(is) M(anibus)
T(ito) Craxxio
Severino
collegium
centonar
ior{ior}um
m s colle
g(a)eq(ue) p(osuit) ex
fun[eraticio]

Aux dieux Mânes
Titus Craxxius Severinus
Le collège des centonars de S a posé ce tombeau à son magister


La lecture de l'abréviation m s (7eme ligne) est sujette à interprétation. Anne Roth Conges et Jean Charmasson y voient peut être Magister Samnaga. Nous serions donc devant la tombe du responsable de la confédération des drapiers et pompiers des Samnagenses.


La numismatique

Avant leur intégration dans l'empire Romain, les Samnagenses frappaient leur propre monnaie. Beaucoup d'exemplaires ont été retrouvé dans le Gard Rhodanien (Ales, Gaujac, Laudun, Uzes...) , de l'autre coté du fleuve (Bollene, Orange, Avignon...), le long de voie Domitienne. Même si les monnaies circulent beaucoup, on peut penser que leur centre économique est situé dans la basse vallée du Rhône.


Les recherches archéologiques, l'étude des inscriptions, la numismatique confirme l'hypothèse de Guy Barruol publié en 1969. Les Samnagenses ont sans doute profité du commerce fluvial sur leur Rhône pour asseoir leur hégémonie sur la région à l'époque Gauloise et garder leur statut après la conquête Romaine.


jeudi 11 novembre 2010

L’oppidum de Gaujac, chef-lieu d’une cité autonome

Par Jean Charmasson


Au cours de la campagne de fouilles de l’été 1986, furent découverts, sur les dalles de l’allée qui borde au nord le podium du temple d’Apollon et d’Artémis de l’oppidum de Saint-Vincent à Gaujac (Gard) les fragments d’une stèle offerte par un haut-magistrat de la ville. Elle portait l’inscription suivante suffisamment reconstituée pour être interprétée :

[Ap]oll[ini]
[…] An[t]onius L(uci) f(ilius) Vo[l(tinia)]
Pater [nu]s aedil[is]
Prae[f(ectus)] [f]abrum
IIIIvir ad aerar(ium)

Que l’on peut traduire par :
À Apollon. 
Antonius Paternus fils de Lucius, de la tribu Voltinia, Édile,
Préfet des ouvriers, 
Quattuorvir chargé des finances.

La carrière politique que ce personnage a tenu à graver sur la pierre le situe parmi les plus grands notables. Il a d’abord été « Édile », une première magistrature au niveau local mais qui impliquait déjà le titre de Citoyen Romain. Puis « Préfet des ouvriers » une fonction qui s’exerçait au niveau de la province de Narbonnaise et signifiait son appartenance à l’ordre équestre, le second dans la hiérarchie romaine. Il a enfin été « Quattuorvir chargé des finances » c’est-à-dire magistrat suprême de sa cité.
La démarche décisive pour la connaissance du statut juridique de l’oppidum de Gaujac a été la comparaison entre cette carrière politique et celles, nombreuses, des notables de rang équivalent de Nîmes. Ce rapprochement a mis en lumière plusieurs anomalies qui les rendent incompatibles dans une même cité (1). Il devient dès lors évident qu’Antonius Paternus était le magistrat d’une cité autonome par rapport au chef-lieu arécomique.
D’autres preuves touchant cette fois à la valeur architecturale de l’oppidum vont dans le même sens.
À partir du milieu du premier siècle avant Jésus-Christ, des travaux de terrassement impressionnants taillent dans les pentes de la colline Saint-Vincent six vastes plateformes horizontales. Sur cette infrastructure urbaine sont édifiés des monuments publics : sur la seconde (à partir du bas) versant sud, un établissement thermal de 1 350 m² de superficie (2) ; sur la troisième, un sanctuaire dédié à Apollon et Artémis qui, avec son péribole, s’étend sur une aire de 1 320 m² (3); sur la terrasse sommitale un autre temple repéré par un mur épais en petit appareil de belle qualité et par la tête et, en partie, la draperie en calcaire du Bois des Lens, de la statue de Livie épouse divinisée d’Auguste ; sur le versant oriental, un troisième sanctuaire dont il reste les vestiges du péribole mais dont la dédicace n’a pas encore été reconnue.
Une dernière attestation déterminante du statut d’oppidum latinum (chef-lieu de cité latine) de la ville antique est la présence d’un rempart romain de 1 250 m de longueur, cernant la hauteur, construit vraisemblablement sous le règne de l’empereur Auguste et renforcé à l’entrée du site d’une tour érigée sous Trajan (4).

Cet urbanisme de prestige ne pouvait être le fait des Gaulois, habitants de ce lieu, qui n’avaient pas les moyens de sa réalisation. Il reste donc à identifier l’autorité supérieure qui eut la volonté politique et la capacité financière de le mener à son terme.

Notes
(1)– Pour le détail de ces anomalies : CHARMASSON Jean et CHRISTOL Michel, une importante découverte épigraphique romaine à l’oppidum Saint-Vincent à Gaujac, Rhodanie, 21, 1987, p. 13-23. CHRISTOL Michel et CHARMASSON Jean, une inscription découverte à Gaujac (Gard), Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France, 1987, p. 116-128.
(2)CHARMASSON Jean, Les thermes de l’oppidum Saint-Vincent de Gaujac (Gard), Rhodanie, 110, 2009, p. 2-18.
(3)Id, Le sanctuaire d’Apollon et d’Artémis à l’oppidum de Gaujac (Gard), Rhodanie, 112, 2009, p. 2-14.
(4)CHARMASSON Jean et CANNAUD Dominique, Les fortifications de l’entrée de l’oppidum de Gaujac (Gard), Rhodanie, 113, 2010, p. 2-10.

mercredi 10 novembre 2010

L’oppidum de Gaujac a-t-il reçu du triumvir Lépide son titre de chef-lieu de cité latine ?


Par Jean CHARMASSON, Monique et Claude CÉROU
Depuis le commentaire de Michel Christol, professeur à la Sorbonne, spécialiste de l’épigraphie nîmoise, d’une inscription découverte au temple d’Apollon et d’Artémis de l’oppidum de Gaujac (1), tout le monde s’accorde à penser que ce site archéologique était le siège d’un chef-lieu de cité latine. On s’interroge aujourd’hui sur l’identité de l’autorité qui a décidé de conférer ce privilège à la ville antique.

Rappel historique
Après l’assassinat de Jules César en plein sénat, le 14 mars 44 avant J.-C., Antoine son ami et Octave son fils adoptif se disputent sa succession. Les deux adversaires se rapprochent pour un temps et, s’adjoignant Lépide, ancien maître de la cavalerie de César, ils forment le Second Triumvirat (novembre 43). A eux trois ils gouvernent l’Etat romain jusqu’à la déposition de Lépide (automne 36) et aux suicides d’Antoine et de son épouse la reine d’Égypte Cléopâtre, en 30 avant J.-C. après leur défaite à la bataille d’Actium. Octave, désormais seul maître de l’État, reçoit du sénat le nom d’Auguste c’est-à-dire de « Saint », d’ « Inviolable ». Ainsi est fondé l’Empire romain.

Lépide, maître de la Transalpine
Un épisode de la carrière politique de Lépide nous concerne particulièrement : celui où il reçut le gouvernement de la Transalpine, au sud-est de la Gaule, de 43 à 40 avant J.-C. Est-ce au cours de ce bref passage dans notre région que l’oppidum de Gaujac a reçu de lui le titre prestigieux de chef-lieu de cité latine (en latin oppidum latinum) ?
L’une des intentions de ce triumvir était de lever des troupes légionnaires propres à renforcer son armée, en vue de la conquête de la Sicile sur laquelle il avait des prétentions. En quoi, d’ailleurs, il échouera puisque ses soldats l’abandonneront pour se rallier à Octave, ce qui entraînera sa perte, et sa destitution à l’automne 36.
Entre 43 et 40 Lépide règne donc sur notre région et, pour former ses légions recrutées parmi les Celtes, il a besoin de l’appui des notables gaulois, de favoriser le clientélisme parmi eux et, par conséquent, de leur accorder des honneurs.

Une inscription révélatrice
En mars 1987, la SECABR (Société d’Étude des Civilisations Antiques Bas-rhodaniennes) entreprenait la consolidation des vestiges d’un monument public datant de l’Antiquité tardive situé sur la sixième terrasse de l’oppidum de Gaujac (Gard). Ces vestiges se composent pour l’essentiel d’un mur orienté est-ouest, au sud du transept de l’église Saint-Vincent et parallèlement à ce dernier. De nombreux éléments d’architecture, dont un bel entablement mouluré de deux mètres de long, avaient été remployés pour réaliser la construction. C’est le long de ce mur qu’a été mise au jour une stèle funéraire portant une inscription latine gravée dans un bloc de calcaire gris (2). Le cippe, finement ravalé, est incomplet en haut et en bas. Il avait été placé à l’envers, le haut en bas, et mesurait 91 cm de hauteur, 58,5 cm de largeur et 58,5 cm d’épaisseur. La pierre était éclatée verticalement et, au moment de la dépose, une plaque à l’avant, préservant le champ épigraphique complet, de 13 cm d’épaisseur s’est détachée de la masse. Elle est conservée à la bibliothèque municipale de la commune de Gaujac.
L’inscription comporte quatre lignes. La hauteur des lettres varie à chaque ligne de 5,5 cm à 7,5 cm.
AEMILIA
ATEVLOIBITIS . F
BITVGNATAE
EX TESTAMENT
Aemiliae Ateuloibitis f [iliae] Bitugnatae ex testament [o] qui se traduit par : Pour Aemilia Bitugnata fille d’Ateuloibitis, d’après son testament.
En dépit de sa simplicité, ce document présente un grand intérêt grâce aux données onomastiques qu’il livre (3).
Le gentilice Aemilia (féminin de Aemilius) qui est celui de la défunte renvoie évidemment à celui de Lépide dont la dénomination complète est Marcus Aemilius Lepidus. L’indication de la filiation prouve qu’elle avait été élevée à la citoyenneté romaine. La question qui se pose est celle de la date : Aemilia, citoyenne romaine, était-elle contemporaine du passage au pouvoir de Lépide sur notre région ? Michel Christol écrit : « Plus l’inscription est de date haute plus l’éventualité d’une intervention du triumvir Lépide est vraisemblable, puisqu’il faut tenir compte que c’est le père de la défunte lui-même qui aurait bénéficié de ce privilège […] Quoiqu’il en soit retenons que c’est peut-être dans cette partie orientale des Volques (la basse vallée du Rhône) que pourraient se trouver les plus authentiques témoignages de l’intervention de Lépide pour se constituer, sur le modèle de ses prédécesseurs et de ses compétiteurs, des clientèles provinciales  (4) ».
Selon le droit romain, la filiation du défunt se référait au prénom du père. Or, dans le cas d’Aemilia, elle se réfère au surnom celtique de son père ce qui suppose une date ancienne où les pratiques juridiques romaines n’étaient pas encore totalement en usage dans les provinces. « On supposera également que le père d’Aemilia était déjà citoyen romain et non de statut pérégrin (étranger à la société romaine) ou qu’il reçut le droit de cité romaine dans le courant de son existence (5) ». Ce qui remonte encore la date, vraisemblablement jusqu’à Lépide.

Un cadre urbain digne d’une capitale provinciale
Un argument extrinsèque vient étayer cette hypothèse : l’urbanisation de prestige que reçut l’oppidum de Gaujac. Un étagement de plates-formes fut taillé dans les flancs de la colline sur lesquelles furent érigés des monuments publics : temples, thermes, remparts. Il est clair que les indigènes ne disposaient pas, loin de là, de moyens financiers suffisants pour réaliser cette parure urbanistique dans un temps relativement court. Seule, une puissance au plus haut niveau de l’État en était capable.
Pour dater le début de ce soudain et brillant essor de l’oppidum, nous nous réfèrerons au monument public le plus ancien découvert à ce jour : le temple d’Apollon et d’Artémis bâti sur une terrasse du versant méridional de la ville (6). Sa construction a été datée des années 40-30 avant J.-C. Il se dresse à peu près au centre d’un péribole horizontal de 1 320 m2 de surface, soutenu au sud par un mur épais, au parement irrégulier, de type cyclopéen, nécessairement antérieur puisqu’il soutient l’assise du temple et que l’on peut ainsi dater légèrement postérieure au milieu du premier siècle avant J.-C., c’est-à-dire précisément au temps de l’autorité de Lépide sur notre région.
Cette découverte, premier élément de l’essor architectural de la ville, vient appuyer ce que l’épigraphie nous révélait déjà.
Il y a donc de fortes probabilités que ce soit sous l’administration du triumvir Lépide, entre 43 et 40, que l’oppidum de Gaujac ait reçu son titre de chef-lieu de cité latine.

Notes
  1. Michel Christol et Jean Charmasson, Une inscription découverte à Gaujac (Gard), Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1987, pp. 116-128, pl. V, fig. 2.
  2. Jean Charmasson, Les inscriptions latines de l’oppidum Saint-Vincent de Gaujac, Rhodanie, 29, 1989, pp. 12-13.
  3. Jean Charmasson, Michel Christol, Michel Janon, Une nouvelle inscription de Gaujac et les Aemili nîmois, Inscriptions Antiques de la Cité de Nîmes 21, sous la direction de Michel Christol, Cahiers des musées et monuments de Nîmes, 11, 1992, pp. 79-95, fig. 21.
  4. Cf. supra, p. 91
  5. Cf. supra, p. 91
  6. Jean Charmasson, Le temple d’Apollon et d’Artémis à l’oppidum de Gaujac, Rhodanie, 112, décembre 2009

mardi 9 novembre 2010

Les liens commerciaux et religieux entre les Samnagenses et les Bituriges

Monnaie Samnagenses
Les découvertes monétaires attestent que des échanges commerciaux existaient bien entre les Samnagenses de l’oppidum de Gaujac et les Bituriges de la région de Bourges (en Berry aujourd’hui).
Une monnaie des Samnagenses a été retrouvée à Levroux, à l’ouest de Bourges (1), de même que deux monnaies des Bituriges ont été découvertes à l’oppidum de Gaujac (2) et un autre exemplaire inédit.
De plus, une inscription de Nîmes (3), chef-lieu des Volsques Arécomiques, peuple voisin des Samnagenses de l’oppidum de Gaujac, nous apprend que les relations entre les deux cités touchaient aussi au domaine religieux. Il y est question d’un personnage associé à l’ordo des Bituriges, qui fait l’offrande d’une effigie en argent du dieu Mars aux Samnagenses :
ITEM […IM]AGIMEN MARTIS AR
GENTEAM EX[…]
[S]AMNAGENSIBUS DEDIT…
L’inscription implique l’importance de l’oppidum des Samnagenses en tant que ville sacerdotale. Cette vocation religieuse est visible sur le site par l’existence de plusieurs temples reliés par une voie sacrée et par la découverte de kernos, vases de tradition hellénique, aménagés pour la présentation des offrandes agricoles. Ce Grand Sanctuaire était surtout fréquenté par les pèlerins de Nîmes qui y déposèrent un grand nombre de monnaies « au crocodile » du premier au milieu du troisième siècle. Elle suppose aussi que la cité des Volsques n’était pas éloignée de celle des Samnagenses, ce qui est le cas, le domaine des deux tribus étant limitrophes.

  1. G. BARRUOL, Les peuples préromains du sud-est de la Gaule. Étude de géographie historique, Paris 1969, 1975.
  2. J. CHARMASSON, G. DEPEYROT, J-Cl RICHARD, étude des découvertes et de la circulation monétaire dans les vallées de Cèze et de la Tave (Gard, France), École Antique de Nîmes, 1980, p.133-164.
  3. CIL XII 3058.

vendredi 5 novembre 2010

L’amphore de Samnaga

D’innombrables fragments d’amphore ont été retrouvés sur les sites des 1er-IIIe siècles des vallées de la Cèze et de la Tave, affluents du Rhône, rive droite. C’est le territoire que nous attribuons aux Samnagenses. Il est important de noter que la quasi-totalité de ces fragments appartient au même type d’amphores : celui que les spécialistes classent sous le nom de « Gauloise 1 » (G1). Elles proviennent d’ateliers tous situés dans cette zone géographique placée sous l’administration de l’oppidum de Gaujac (Gard). Quatre d’entre eux ont été fouillés ou repérés.
Il s’agit d’un récipient de terre cuite dure, de teinte beige clair ou ocre ou blanche mais le plus souvent rosée, à forte teneur de sable. La ligne est pansue, le pied plat, annulaire au-dessous, le col très court et les deux anses plates rehaussées de nervures en relief. Sa contenance était de 30 l environ.
Amphore Gauloise 1
Un certain nombre d’exemplaires portent au niveau de l’épaule, à égale distance des anses, les estampilles de ces Gallo-Romains dont on est fondé à croire qu’ils remplissaient la quadruple fonction de viticulteurs, de vinificateurs, de fabricants de conteneurs et de négociants. Ces cachets sont le plus couramment des initiales : LH à Tresques (Lieudit Bouyas), QFP à Bagnols-sur-Cèze, LCF à Saint-Paul-les-Fonts ; parfois le début du nom CLAR pour Clarianus qui comptait parmi les plus grands exportateurs et possédait aussi une fabrique de briques portant le même cachet. Plus rarement, le nom était indiqué presque entièrement comme celui de PATECOV sur l’oppidum du Camp-de-César à Laudun.
Quatre de ces centres de fabrication ont été identifiés sur le territoire qui nous occupe.

Chusclan, Marcoule
Le lieudit Cadenet où se dressent les bâtiments du centre nucléaire de Marcoule était occupé à l’époque gallo-romaine par un vaste ensemble industriel, commercial et portuaire. On y avait déjà décelé au siècle dernier « une ligne ininterrompue de fours à tegulae et à amphores, des fabriques de poteries communes, de luxueuses maisons, de nombreuses sépultures et des inscriptions lapidaires ». Ce port rhodanien exportait des produits manufacturés sur place et les productions agricoles et industrielles des vallées de la Cèze et de la Tave. Les armateurs logeaient sur place et traitaient leurs affaires sur l’oppidum proche du Camp-de-César (Laudun) où se trouvait une basilique, cœur des transactions.

Laudun
La réalisation de la déviation de Laudun par le sud a révélé la présence d’une manufacture amphorique voisine du cimetière Saint-Géniès. Les récipients ont une couleur ocre soutenu et, surtout, ils se distinguent par une fine collerette en relief qui cerne la base du col. Ce détail à lui seul permet de les reconnaître ; il remplace en quelque sorte le sceau identificateur.

Tresques
Des travaux d’élargissement de la route départementale n° 5 de Bagnols-sur-Cèze à Tresques ont amené la découverte au lieudit Bouyas d’une manufacture d’amphores. Son intérêt particulier est que tous les exemplaires exhumés de la zone de rejet des ratés de cuisson étaient marqués des initiales LH du maître des lieux. Celui-ci utilisait même deux sceaux de différentes tailles. Les fouilles ont permis de dater le début de fonctionnement de la fabrique du règne de Vespasien et sa fin des dernières années du IIe siècle.

Bagnols-sur-Cèze
Sur le territoire de la commune de Bagnols-sur-Cèze au lieudit Bazine, au nord de la ville, une fabrique d’amphores de Samnaga a été reconnue tout près de la Cèze. Les récipients étaient marqués des initiales QFP.
C’est à tous ces propriétaires de vastes domaines, à la fois viticulteurs, vinificateurs, fabricants d’amphores et marchands que la cité des Samnagenses doit la plus grande part de sa richesse.