jeudi 11 novembre 2010

L’oppidum de Gaujac, chef-lieu d’une cité autonome

Par Jean Charmasson


Au cours de la campagne de fouilles de l’été 1986, furent découverts, sur les dalles de l’allée qui borde au nord le podium du temple d’Apollon et d’Artémis de l’oppidum de Saint-Vincent à Gaujac (Gard) les fragments d’une stèle offerte par un haut-magistrat de la ville. Elle portait l’inscription suivante suffisamment reconstituée pour être interprétée :

[Ap]oll[ini]
[…] An[t]onius L(uci) f(ilius) Vo[l(tinia)]
Pater [nu]s aedil[is]
Prae[f(ectus)] [f]abrum
IIIIvir ad aerar(ium)

Que l’on peut traduire par :
À Apollon. 
Antonius Paternus fils de Lucius, de la tribu Voltinia, Édile,
Préfet des ouvriers, 
Quattuorvir chargé des finances.

La carrière politique que ce personnage a tenu à graver sur la pierre le situe parmi les plus grands notables. Il a d’abord été « Édile », une première magistrature au niveau local mais qui impliquait déjà le titre de Citoyen Romain. Puis « Préfet des ouvriers » une fonction qui s’exerçait au niveau de la province de Narbonnaise et signifiait son appartenance à l’ordre équestre, le second dans la hiérarchie romaine. Il a enfin été « Quattuorvir chargé des finances » c’est-à-dire magistrat suprême de sa cité.
La démarche décisive pour la connaissance du statut juridique de l’oppidum de Gaujac a été la comparaison entre cette carrière politique et celles, nombreuses, des notables de rang équivalent de Nîmes. Ce rapprochement a mis en lumière plusieurs anomalies qui les rendent incompatibles dans une même cité (1). Il devient dès lors évident qu’Antonius Paternus était le magistrat d’une cité autonome par rapport au chef-lieu arécomique.
D’autres preuves touchant cette fois à la valeur architecturale de l’oppidum vont dans le même sens.
À partir du milieu du premier siècle avant Jésus-Christ, des travaux de terrassement impressionnants taillent dans les pentes de la colline Saint-Vincent six vastes plateformes horizontales. Sur cette infrastructure urbaine sont édifiés des monuments publics : sur la seconde (à partir du bas) versant sud, un établissement thermal de 1 350 m² de superficie (2) ; sur la troisième, un sanctuaire dédié à Apollon et Artémis qui, avec son péribole, s’étend sur une aire de 1 320 m² (3); sur la terrasse sommitale un autre temple repéré par un mur épais en petit appareil de belle qualité et par la tête et, en partie, la draperie en calcaire du Bois des Lens, de la statue de Livie épouse divinisée d’Auguste ; sur le versant oriental, un troisième sanctuaire dont il reste les vestiges du péribole mais dont la dédicace n’a pas encore été reconnue.
Une dernière attestation déterminante du statut d’oppidum latinum (chef-lieu de cité latine) de la ville antique est la présence d’un rempart romain de 1 250 m de longueur, cernant la hauteur, construit vraisemblablement sous le règne de l’empereur Auguste et renforcé à l’entrée du site d’une tour érigée sous Trajan (4).

Cet urbanisme de prestige ne pouvait être le fait des Gaulois, habitants de ce lieu, qui n’avaient pas les moyens de sa réalisation. Il reste donc à identifier l’autorité supérieure qui eut la volonté politique et la capacité financière de le mener à son terme.

Notes
(1)– Pour le détail de ces anomalies : CHARMASSON Jean et CHRISTOL Michel, une importante découverte épigraphique romaine à l’oppidum Saint-Vincent à Gaujac, Rhodanie, 21, 1987, p. 13-23. CHRISTOL Michel et CHARMASSON Jean, une inscription découverte à Gaujac (Gard), Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France, 1987, p. 116-128.
(2)CHARMASSON Jean, Les thermes de l’oppidum Saint-Vincent de Gaujac (Gard), Rhodanie, 110, 2009, p. 2-18.
(3)Id, Le sanctuaire d’Apollon et d’Artémis à l’oppidum de Gaujac (Gard), Rhodanie, 112, 2009, p. 2-14.
(4)CHARMASSON Jean et CANNAUD Dominique, Les fortifications de l’entrée de l’oppidum de Gaujac (Gard), Rhodanie, 113, 2010, p. 2-10.

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